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Cette théorie est basée non pas sur les idéologies politiques et une opposition binaire similaire à celle de la guerre froide, marxisme versus libéralisme, mais sur des confrontations culturelles et civilisationnelles conflictuelles puisque la religion en est l’épine dorsale. Ce qui modifie radicalement la nature des relations internationales.
L’article puis l’essai de Huntington sont survenus pour répondre à ceux qui prédisaient la fin de l’histoire de l’humanité après la chute de l’empire soviétique et l’assujettissement à un seul ordre triomphant sur la totalité de la planète.
Pour Huntington, il n’en sera rien ! Le XXIème siècle sera religieux du moins spirituel. Mieux, la notion de peuple sera complètement transformée puisqu’il sera difficile de définir et de symboliser l’identité d’un peuple. Cela créera des conflits ethniques et causera des difficultés à certaines populations de vivre ensemble ou d’accéder à la démocratie.
Huntington fait le constat d’un phénomène annonciateur en plein Europe Chrétienne. Dans les rues de Sarajevo le 18 avril 1984, et en plein guerre de Bosnie, deux mille manifestants brandissent les drapeaux de deux pays musulmans, l’Arabie Saoudite et de la Turquie, au lieu de drapeaux occidentaux. Ils voulaient ainsi exprimer leur proximité de ces deux nations amies. La Serbie orthodoxe étant soutenue par la Russie.
Il était donc clair que défendre la Bosnie ou la Serbie était une question de choix de civilisation par rapport à une autre.
Huntington fait d’autres constats dans d’autres lieux de par le monde qui démontrent que l’universalité occidentale sera difficile à atteindre devant le retour en force de l’Islam et le développement des peuples d’Asie. Il met ainsi en garde contre la désintégration de la civilisation occidentale.
Il fait également le constat que les Etats occidentaux perdent leur souveraineté nationale au profit d’institutions internationales. Ce qui diminue fortement leur influence. On pense notamment à l’Union Européenne et d’autres groupements politico-économiques à l’échelle du globe.
Huntington s’oppose parfaitement à la culture unipolaire de Davos, celle des droits de l’homme, de la dévotion pour la démocratie représentative, la libre circulation des capitaux et l’innovation sans limitation éthique. Les dévots de cette culture sont minoritaires. Huntington nous annonce un monde multipolaire où la très large majorité aura du mal à trouver son compte.
Huntington écrit que les civilisations ne sont pas des ensembles clos, immuables et homogènes. Elles sont ouvertes, muables et hétérogènes mais cela n’empêche pas qu’elles puissent être en conflit à cause des spiritualités qui les constituent.
Oui à la modernisation, non à l’occidentalisation. C’est le message que semble véhiculer le monde musulman d’après Huntington. D’après lui, il sera difficile « d’assimiler les musulmans » dans les pays occidentaux, de même les occidentaux dans les pays musulmans. Il qualifie avec une violence inouïe l’Islam de religion absolutiste qui confond religion et politique.
Huntington se pose alors la question de savoir si l’Occident peut se renouveler dans cette configuration apocalyptique ou sera-t-il enclin à un déclin progressif qui le mènera à un suivisme moutonnier envers d’autres civilisations plus dynamiques économiquement et démographiquement ?
Sans le nommer, Huntington parle d’un Suicide Occidental du à des comportements antisociaux, au déclin de la famille et à différentes formes de décadences sociale, culturelle et intellectuelle accompagnées d’une dégradation du niveau scolaire…
A sa sortie en 1996, le livre de Huntington a suscité la polémique. Ses détracteurs l’ont accusé d’attiser la détestation des musulmans. Certains observateurs l‘ont même assimilé à un idéologue porte-parole de « la politique impérialiste américaine ». D’autres récusent toute suprématie occidentale pour le compte de métissages et de réalités sociologiques indélébiles. D’autres encore voient en Internet le symbole de la dématérialisation des frontières terrestres pour une civilisation universelle.
Aujourd’hui en terre occidentale, ces courants de pensée se serait appelés « islamo-gauchisme » et ils sont mal vus dans les cercles de la bien-pensance de droite.
Quoi que l’on dise sur la théorie de Huntington, il avait raison de parler de choc des civilisations au sein d’une même nation. Personne n’y a cru car personne ne voulait y croire, car d’aucuns ne voulaient assumer la responsabilité de l’assimilation de l’étranger.
L’Occident, et l’Europe en particulier, a fait le choix de l’intégration uniquement et il semble le regretter aujourd’hui. Dorénavant, la question de l’assimilation se posera ardemment et ne fera paradoxalement qu’exacerber le choc des civilisations.
Comment l’Occident réussira-t-il à atténuer ce choc inévitable ? Les dix prochaines années seront on ne peut plus déterminantes.
(*) Samuel Huntington (1927 – 2008) : professeur américain de science politique